Le commencent. Tout a commencé il y a 27 ans, maintenant. Je ne me souviens pas de mes premières années, comme tout le monde, j'imagine. Néanmoins, je me rappelle la naissance de ma petite sœur, Izoenn, alors que j'avais cinq ans. Le jour où mes parents, du moins, c'est comme ça que je l'ai vécu, se sont détournés de moi pour un petit truc qui passe son temps à dormir et à chialer. J'avais perdu ma place d'enfant unique. J'ai pas pu dormir avant mes sept ou huit ans, pas avant qu'elle ait une conscience – quoique, encore aujourd'hui, je me demande parfois si elle en a une ! Je rigole bien sûr -. C'est aussi vers cet âge là qu'on a fait nos premières farces à nos parents. Batailles de farine, polochons, crème solaire VS dentifrice. Mais comme j'étais grand et donc responsable, généralement, c'est moi qui prenait, laissant son innocence à Izoenn. Sauf quand elle avait renversé un kilogramme de farine sur les chaussures vernies du père … Ce jour-là était mémorable. Il avait rit au lieu de nous engueuler – j'ai appris le soir qu'il avait reçu une promotion … Oui, même si l'attention des parents était souvent occupée par le bien-être d'Izoenn, ils considéraient que j'étais grand, et j'en profitais pour fouiner partout et laisser mes oreilles traîner, de toute manière je n'avais qu'à faire un grand sourire et maman nous réconfortait. Papa, en revanche … comment dire ? Il avait ses méthodes … que ce soit dans sa vie familiale ou professionnelle, il était plutôt bizarre. J'ai jamais vraiment compris mon père, et nous ne sommes pas particulièrement proches … Même si ouvrir un casino a certainement été la chose la plus respectable qu'il ait fait dans sa vie – à part nous donner la vie.

Avance rapide sur la suite des événements de ma vie et dans le désordre. J'ai grandi, j'ai eu des potes, ma sœur a grandi et est devenue une sorte de mannequin suédoise, un peu petite cependant, j'ai eu d'autres potes, certains de mes potes sont devenus les petits amis des copines de ma sœur, j'ai eu ma crise d'ado, Izoenn aussi, finalement mon meilleur ami Blake est devenu son petit copain, et personnellement, toutes les copines potables d'Izoenn sont devenues le temps d'une nuit mes petites amies. Puis celles de papa. Mais ces deux choses, ça fait partie des choses qui, je l'espère, seront ignorées par ma sœur. Ma sœur. On dit de certaines personnes qu'elles sont comme des kinders, brunes en apparence, et blondes à l'intérieur. Izoenn a reçu le package inverse, une blonde stéréotypée, profil de barbie, sachant faire la blonde débile et la vraie fausse intelligente ( fourni avec la garce et la fouine )quand elle veut, ou aux personnes qu'elle vient de rencontrer, mais quand on la connaît, c'est une brune cultivée sachant additionner un et un, curieuse au possible, et drôle. Même si parfois elle est drôle sans le vouloir. C'est vrai que la nature nous avait plutôt gâtés, entre un père tout droit sorti de la prohibition qui avait malgré tout réussi à faire fortune et une mère jolie et aimante qui nous avait refilés ses principes et sa beauté, Izoenn et moi nous en tirerions plutôt bien. Mais Izoenn n'est pas non plus toute blanche. Alors que j'étais le dernier placé pour lui parler de ça, quand j'ai appris qu'avec Blake, ils l'avaient fait … J'ai découvert le côté 'brune' d'Izoenn. Tout aussi intéressant. Mon père l'a soutenu pour la forme, mais finalement, je me suis excusé auprès d'elle. Fait toutefois assez rare pour qu'on en parle.

Blake. Comme je l'ai déjà dit, Blake est à la fois mon meilleur ami et le petit copain d'Izoenn. Ce qui est relativement … compliqué. Un soir, papa, semblant avoir à jouer un rôle à l'aube de mes 21 ans, m'a parlé de l'armée. D'une, cela permettrait de me mettre du plomb dans la tête, de deux, cela permettrait de me mettre du plomb dans la tête, de trois, cela permettrait de me mettre du plomb dans la tête, de quatre, cela me permettrait de voir que les armes, les morts et la guerre, c'est réel, de cinq, cela me permettrait de m'éloigner de lui … Après en avoir parlé à Blake, qui semblait tout aussi convaincu que moi qu'il fallait faire de grandes choses dans sa vie, et que l'armée nous laisserait à jamais des souvenirs, et un salaire, nous partîmes rejoindre Oncle Sam. A notre admission, nous avons été séparés, Blake préférant le côté Marines. Et depuis, je ne l'ai pas revu, si ce n'est qu'une fois à un dîner organisé par un couple de soldats. Je ne sais même pas si il est au courant pour notre mère … Il devait être en mission près de l'Alaska ou je ne sais plus trop où. Si ça se trouve il est dans un sous-marin près du Koweit. Moi, j'étais en mission à la frontière mexicaine, et après l'annonce du drame, je préférais quitter l'armée pour me consacrer à ma famille – raison jugée admissible par l'armée, vu que je pus rejoindre mon père et ma sœur pour l'enterrement, et que deux jours plus tard, j'avais un contrat avec papa pour tenir et faire le show au bar de son casino.


Je ne tiens personne pour responsable du suicide de maman. Ni Izoenn, ni papa, ni ses maîtresses de l'âge d'Izo … C'est un suicide. Si ça avait été à cause de papa, elle aurait pu demander le divorce, récupérer la moitié de son pognon et se barrer dans un autre état, voire un autre pays, afin de reconstruire sa vie. N'étant pas sur place depuis quelques années, je ne savais pas quel était le climat familial ou professionnel de maman. Mais quand même, se tuer au médocs … J'ai préféré, d'ailleurs, prendre un appartement depuis mon retour. Même si Izoenn ne le sait pas, si un jour elle voulait plus d'indépendance et quitter le cocon familial - monoparental désormais, elle pouvait venir sonner à ma porte. Le salaire n'était pas un problème entre celui que j'avais perçu à l'armée et celui que papa me versait. L'armée … Là-bas, près du Mexique, je ne sais si c'est à cause de la chaleur, de la tension ou de la langue espagnole, j'ai vu des trucs bizarres. Je ne sais pas ce que c'est, vraiment … Mais ça ressemblait plus ou moins à des spectres ou des esprits, du genre de fantôme pas vraiment réel mais qui fait flipper dans les films d'épouvante … J'en ai croisé deux. Il y avait un esprit, ou cette sorte de chose, qui était dans un fourré d'épines et de cactus, et qui semblait heureux. C'est bizarre d'être heureux dans ce trou, mais si ça vient d'un fantôme d'un émigré qui aurait réussi à franchir le Mur, alors peut-être que ça avait du sens. L'autre esprit refusait que j'accède à une partie du désert. Il semblait triste, même si je ne sais pas comment je peux arriver à voir ce genre de truc, et encore moins à savoir ce qu'ils ressentent … A croire que les sorciers et ceux qui voient les spectres existent ! Pourtant, j'ai cru entendre dire que ce n'était que les femmes … Enfin, c'était de ces souvenirs de guerre que j'étais venu chercher, et que j'ai trouvé, il faut croire. Mais à Cripple Creek, tout semblait harmonieusement prédéfini et prévisible à mourir, enfin, quoique …