La tombe de ma mère, étrange amie. Je posais ma sacoche, celle où je planquais deux livres qui m'étaient particulièrement chers, à côté de la tombe et entreprit de nettoyer cette dernière. La plupart des bouquets déposés sur sa tombe avaient fanés … Je retirais les boutons de fleurs fanés des bouquets qui étaient encore agréables à regarder et fis un tas, devant la tombe, avec ces restes et les bouquets complètement fanés. Je vérifiais bien qu'il n'y ait personne dans le cimetière, constatais qu'Izoenn n'était toujours pas arrivée, et avec un sort qu'apparemment je maîtrise depuis mes six ans, je lançais un sort et fis un feu de ces déchets. Le tas s'enflamma rapidement, avant de s'éteindre. Au moins, je n'aurais pas à remplir les poubelles des déchets des fleurs.
C'est ici que j'avais lu les journaux de ma mère, ceux qui révélaient ma vraie nature. C'est donc ici que j'avais donné rendez-vous à Izoenn, pour parler, justement, de ça. Je ne lui avait pas parlé depuis longtemps, mais je lui avait rendu la majorité des journaux, qu'elle avait du lire entre-temps. Et si comme moi, elle avait débridé ses pouvoirs et s'était un minimum entraînée, alors ce rendez-vous allait peut-être être intéressant. On pourrait l'utiliser facilement ici, un lieu avec personne pour regarder ce que vous faites.
Je sortis le plus vieux des deux livres de ma sacoche. Celui de mon arrière grand-mère, qui avait eu la même sensibilité que moi aux esprits. Dans un cimetière, c'était comique ... C'est en faisant cette relation que je pris conscience de l'ampleur de ce que je pensais. J'avais déjà croisé un esprit à Cripple Creek, et avec l'aide, j'en était sûre, de mon arrière grand-mère, je l'avais aidé du mieux que je l'avais pu. Et comme elle le décrivait, j'avais ressenti une force nouvelle en moi, signe que j'avais absorbé une partie des pouvoirs de l'esprit. Et ici, dans un cimetière, il devait sûrement traîner un ou deux esprits, non ?

Abandonnant mes affaires –sauf le vieux journal-, et guidé par mon instinct, je me baladais au hasard entre les tombes, essayant de ressentir quelque chose, une force, une volonté, un esprit. Mais voyant du coin de l’œil Izoenn arriver, je me contentais de rebrousser chemin et de revenir à la tombe maternelle, attendant qu'elle me rejoigne, un sourire aux lèvres.

- Tu vas bien ? lui demandais-je une fois qu'elle fut arrivée à ma hauteur. Comme tu peux le voir, je t'ai trouvé un endroit isolé et à l'abri des regards …

Je regardais ma sœur arriver, les traits tirés, il devait être environ six heures du matin, et elle avait du bosser toute la nuit. C'était pas humain, ce que je lui faisait subir … Mais bon, je n'étais plus tout à fait humain.
Elle prit son temps pour arriver jusqu'à moi, comme si elle ne voulait pas venir voir la tombe de maman. Ce qui était peut-être vrai, tout bien réfléchi. Elle n'avait peut-être pas vraiment fait le deuil. Ou alors, c'était de me voir moi. Ou alors, c'était le cimetière, ou l'heure.
Elle demanda pourquoi je l'avais fait venir ici, mais je ne répondis pas. Je la connaissais suffisamment pour savoir qu'elle allait continuer à parler juste après, sans tenir compte de sa propre question. Ce qui ne tarda pas à arriver. Je souris intérieurement, pour ne pas lui laisser voir que je la connaissais bien et que ses défauts me faisaient marrer. Je laissais mon regard se perdre sur les tombes avant de lui répondre.

- Content de te voir aussi ! Je t'ai demandé de venir ici parce que c'est un endroit tranquille, et où je suis sûr qu'on ne sera pas dérangé. J'imagine que depuis le temps que je t'ai rendu les journaux de notre mère, tu as eu le temps de les lire … n'est-ce pas ?

Je la connaissais. Elle n'avait pas eu le courage de lire les journaux avant moi, car elle pensait que c'était comme … d'entrer par effraction dans ses pensées. Mais bon, moi, je n'avais pas eu ce problème de conscience. Et quand je lui avait rendu les livres, enfin, la plupart, et que je lui avait demandé expressément d'y jeter un œil … elle avait du les lire, entre deux cours.
Bon, alors, trouvons un petit sort rapide à effectuer. Il n'y avait pas d'eau à proximité, mais il restait une plante complètement morte sur la tombe devant nous. Brûler du bois mort et sec n'est pas compliqué. Je ne tardais pas à retrouver la formule et à la réciter mentalement.
La flamme apparut bientôt, lécha tout le bois et s'évanouit ensuite, laissant des morceaux calcinés au fond du pot.

- Ceci répond-t-il à tes questions ? lui fis-je en me tournant vers elle, un grand sourire sur le visage.

Ma sœur … avait, tout comme je l'avais espéré, lu les livres que je lui avait rendu. Ainsi, elle comme moi savions. Nous ne vivions pas dans un monde logique et rationnel, finalement. Plutôt dans un monde de contes de fées … Assez cool, vu que c'était nous, les fées.
Elle s'approcha enfin de la tombe de notre mère avant de m'avouer qu'elle n'était pas revenue ici depuis l'enterrement. C'était plus dur pour elle que pour moi – qui avais vu la guerre avant – et je ne m'étais pas attendu à ce qu'elle s'éffondre devant la tombe. Elle sécha ses larmes, mais je la laissais tranquille … puis elle s'agenouilla pour sentir la tombe froide sous ses doigts.
Elle fit quelque chose qui m'impressionna. Alors qu'elle était bouleversée, elle trouva dans un coin de sa mémoire une formule pour faire apparaître une jolie rose blanche sur la tombe. Bon, au moins, elle aussi avait récupéré ses pouvoirs et s'était exercée. Pile comme je l'avais imaginé. Les choses allaient devenir probablement intéressantes.
Elle se redressa enfin et me demanda pourquoi je lui avait demandé de me rejoindre ici au petit matin. Elle trouvait ça morbide comme idée, mais pas moi. Il m'évoquait un lieu de respect et de recueillement,ce cimetière. Elle souria et s'enfonça contre ma poitrine, exactement comme on l'aurait fait plusieurs années auparavent. Je la serrais contre moi, les moments comme celui-ci étaient devenus rares – encore une autre raison pour laquelle je l'avais fait venir ici à cette heure indécente.

- Tu m'en voudrais si je te disais que je voulais juste te voir ? lui demandais-je avec un sourire sur les lèvres – et dans la voix. Je voulais juste m'assurer que tu allais bien, et que tu avais bien lu les journaux.

Je l'écartais un peu de moi et la regardais dans les yeux.

- Allez, amusons-nous un peu !

Je savais qu'elle identifierait ce message comme étant la vraie raison de l'avoir amenée ici. Je la rêlachais complètement avant de m'appuyer contre une croix près de la tombe de notre mère et réfléchis quelques instants pour me concentrer avant de murmurer un sortilège. Le premier fut un simple isolant sonore, quelque peu inutile au vu des précautions que j'avais déjà employées, mais sait-on jamais. Le second, un isolant visuel. Il détournerait inévitablement l'attention des badauds, vers autre chose. Les deux sorts étaient plutôt simple, et en toute première page du grimoire que ma mère m'avait personnellement laissé. Je me tournais vers Izoenn avec un grand sourire, et par la force de ma volonté – et d'un sortilège mental – je récupérais la rose blanche, sur la tombe.
Elle flotta en l'air, et je l'amenais entre nous, puis en face de moi, dans un ciel sombre et dégagé. Et je fis apparaître une autre rose blanche, attendant qu'Izoenn elle aussi montre ses talents de sorcière.