Part 1 / AfricaJe suis né en Afrique en 1631, plus précisément, dans l'actuel Ghana. Du moins, c'est à cet endroit, au comptoir d'Elmina – « la mine », à l'époque, il y avait de l'or à cet endroit – que j'ai été acheté par un couple d'étrangers. Mes premières années d'humain … Pas très glorieuses. J'avais huit ans quand ma mère m'a vendu à ce couple, en qualité d'esclave. Je n'ai aucun souvenir de cette époque. J'ai juste une image, abîmée avec le temps, que la femme qui m'a acheté à dessinée. Moi, le port d'Elmina, et pas grand-chose d'autre. Elle avait un don pour le dessin, on pourrait la comparer à une photo. C'est au dos que se trouvent l'information la plus précieuse de ma vie : mon nom. Mon vrai nom, le nom que ma mère humaine m'a donné. Je ne me souviens pas de grand-chose d'autre.
Le couple qui recherchait un enfant noir était un couple particulier. A l'inverse de beaucoup de couples, il ne souhaitaient pas de bébé, ou d'enfant de moins de trois ans la plupart du temps. Après cinq ans, les chances que l'on soit adopté sont minimes, et si l'on souhaite un esclave fort, alors on prend un adolescent – considérés comme enfants, ils coûtent moins cher – assez vigoureux, généralement, à partir de quatorze ou quinze ans. Mais pourquoi se ruiner à acheter un enfant bon à rien ? « Parce que plus jeune, tu aurais eu des veines trop fines, tu aurais été trop faible … et plus vieux, tu aurais eu une conscience. »
Part 2 / PortugalA mes huit ans, donc, je débarquais dans une province au sud du Portugal actuel – sauf qu'à l'époque, c'était l'Espagne.
Quelle ne fut pas ma surprise quand je vis que le couple – Abraham et Rosa Priest – habitaient en compagnie d'une vingtaine de personnes qui n'étaient pas de leur famille ! En Afrique, on habite sous le même toit que ses parents, ses grands-parents, ses oncles, etc. Or ici, ils n'avaient pas de liens familiaux ! Rosa, ma nouvelle mère, m'expliqua que c'était des amis à elle, ou leurs domestiques. Des esclaves, en sorte. Et moi, là-dedans ? Rosa me montra ma chambre, que je partageais avec leur fille, une certaine Honey. A cette époque, la plus grosse barrière, c'était la langue. J'avais quelques notions de portugais, certes, mais à huit ans … Je savais juste que lorsqu'ils s'adressaient à moi, ils disaient : Jeremiah ! Avec le recul des années, je sais maintenant qu'ils m'avaient bien traité. La chambre de leur fille … qui avait sept ans à l'époque. Un an de moins que moi. Alors, s'ils avaient une fille, pourquoi voulaient-ils d'un autre enfant ?
C'est au bout d'un mois qu'Abraham – désormais mon père, il était Anglais, alors que sa femme était Portugaise – me confia qu'il était un vampire, que sa femme aussi, et que les personnes qui vivaient avec eux n'étaient pas leurs amis, ni leurs domestiques – enfin, ils jouaient quand même ce rôle – mais des humains dont ils s'abreuvaient. Avant que je ne m'enfuie en courant – je commençais à bien maîtriser le portugais – il m'avait attrapé et mordu. Au bout de quelques secondes, il avait arrêté et me demandais si j'avais eu mal. A bien y réfléchir, ça ne fait pas mal. Abraham vait alors dit que je n'avais rien à craindre, et que je serais plus fort. Il m'avoua bien plus tard que depuis que j'étais arrivé chez eux, ils mélangeaient de leurs sang à tout ce que je mangeais. Curieux comme pas deux de cette pratique Européenne, j'avais assailli Abraham dès le lendemain, de toutes les questions que je me posais depuis la veille. Il pris son temps et m'expliqua tout ce que je voulais savoir. Il m'expliqua aussi les conséquences de ce drôle d'échange, et du fait que je ne devais pas encore en parler à Honey. A tout le monde, en fait, sauf à leur fille, qui était humaine. Les autre étaient tous en processus plus ou moins avancé de vampirisation.
L'année suivant mon arrivée dans cette drôle de famille, les Portugais se sont révoltés et ont entamé leur guerre d'Indépendance. Or, ma nouvelle famille étant pacifiste, elle a préféré s'exiler, direction, la Nouvelle-Angleterre.
Part 3/ New EnglandAprès un long voyage en bateau – deuxième fois avant même mon dixième anniversaire ! -, nous avons débarqué sur le nouveau monde. Boarf, ça changeait pas beaucoup. Y'avait rien de nouveau. En un an à peine, j'avais pris de l'assurance, et ma vie avait radicalement changée. Je n'étais plus un simple Africain. J'étais un habitant du Nouveau-Monde, membre d'une famille de vampires surpuissants. Quel changement !
Enfin, à peine étions nous installés, avec une maison et de la place pour tous, et sans regards désobligeants des voisins, qui trouvaient bizarre que nous soyons si nombreux et différents – je sus noir, ma mère a des traits hispaniques, mon père est plus blanc encore, l'une de nos cuisinières est d'origine roumaine et le jardinier a des origines ariennes, sans oublier le majordome indien d'Inde - que nous nous retrouvions encore en pleine guerre. Contre les amérindiens, cette fois. Notre village fut cependant miraculeusement épargné ( avec le recul, je sais que mes parents ont influencés tous les amérindiens qu'ils croisaient pour qu'ils épargnent notre village ).
J'ai grandi là. Je suis allé à l'école avec Honey comme tous les enfants du village, pour apprendre l'anglais, en plus du portugais. D'ailleurs, Honey est leur fille biologique. Abraham et Rosa l'ont eue avant d'être transformés, mais déjà à cette époque, ils vivaient chez un vampire. Ils ont étés transformés dès qu'elle est née. Cela fait donc peu de temps qu'ils sont eux-mêmes vampires, me direz-vous. Or, un tragique accident tua définitivement leur Sire, et ils récupérèrent ainsi son essaim, le leur, le mien, également.
Au fur et à mesure des années, au fur et à mesure des échanges, j'ai changé. Je voyais bien que j'étais plus fort que les autres enfants de mon âge, que j'avais besoin du sang de plus en plus souvent, que
j'aimais le sang. A ses dix ans, Abraham a avoué à Honey qu'ils étaient des vampires, moi y comprit. Elle se marra pendant un bon quart d'heure avant de dire qu'elle savait déjà tout ça puisque sa mère le lui avait dit à mon arrivée dans la famille. Sa seule réaction fut de lever les yeux au ciel. S'il avait interdit à toute sa famille de ne rien dire à Honey, sa femme était passée entre les mailles du filet.
Harris est un homme aussi âgé qu'Abraham. Il vient également d'Angleterre. Alors que j'avais quatorze ans, Abraham le tua, pour en faire un vampire. Il l'avait fait devant l'essaim presque au complet, comme un cours pratique. Il prit de son sang une ultime fois, et Harris revint à la vie. Vampire à part entière. Il resta six ans avec nous, avant de mourir. Pour de vrai. A cause de Rosa. Je ne sais pas exactement les raisons de sa mort.
Pendant ce temps, j'avais appris à être prudent avec un vampire ou en présence d'un humain fortement vampirisé, où chaque goutte de sang, chaque choc, risquait de le transformer. Abraham avait beaucoup de considération pour moi, et il me racontait beaucoup de choses, une bonne partie de son savoir. J'appris ainsi que ce talent qu'il avait de réunir les personnes autour de lui, il le tenait du vampire qui l'avait changé. Que c'était une bonne chose. Il évitait les ennuis, le manque de sang, la solitude. Les autres vampires se servaient dans un humain, et repartaient. Nous, nous pouvions créer des liens avec nos humains, leur prendre leur sang quand nous en ressentions le besoin, leur en donner, tirer de la puissance d'eux, et bien plus que par des humains jetables.
Durant ma longue vie, il faudrait parler de tous les malheurs, de toutes les joies. Mais quel serait alors l'intérêt de venir m'accoster dans la rue rien que pour savoir d'où viennent mes origines et ce que j'ai fait étant jeune ?
Mais il faut quand même parler de Salem. Triste affaire, les sorciers ont toujours été assez malins pour ne pas se faire piéger par des femmes aigries en manque de piment dans leur vies … néanmoins, et on ne peut pas le nier, cela à jeté un froid dans les villages alentours, et tout le monde était plus méfiant vis-à-vis de ses voisins. Il y a eu des répercutions … parfois même longtemps après.
Un beau jour, un couple et leur bébé frappèrent à la porte de la maison. Il se trouvait que c'était un petit village qui avait décidé de s'auto-détruire pour la simple et bonne raison qu'il soupçonnait l'existence de présence maléfiques. Bref, le village avait flambé et les sorciers étaient maintenant à la rue. Certes, ils auraient pu aller ailleurs, mais au moins, chez des vampires, ils étaient sûrs d'être accueillis.
J'ai entendu dire, par certains vampires solitaires que j'ai croisés, que les sorciers nous chassaient et étaient au service de protection des humains ou je ne sais quoi. Mais quand le vampire en question ne tue pas ses humains et s'assurent qu'ils soient heureux et consentants, il n'y a plus d'équation et tout le monde vit.
Bref, ils ont demandé l'hospitalité, et deux et demi de plus ou de moins, Abraham et Rosa n'y ont pas vu d'inconvénients, à condition, évidemment, que les sorciers ne les tuent pas.
Il y a une époque, où accueillir des étrangers sous son toit était aussi simple que de dire bonjour.
Depuis ce jour, les sorciers sont toujours restés avec nous. C'est dingue, la magie. On peut aussi parler de magie vampirique, mais elle nécessite généralement du sang ou un lien de sang. La magie pure, celle des sorciers, c'est drôle. C'est trop cool. Ils récitent un truc, une formule, toi, tu comprends rien ( et quand bien même tu la réciterais, ça ne ferait rien ) et y'a des trucs de fou qui se réalisent. Normal.
Part 4/ West Coast – début XX°Que donne un sorcier qui se nourrit de sang vampirique ? Un vieux, très vieux sorcier, qui réussit à ne pas perdre la boule grâce à quelques formules et herbes.
J'ai mon propre essaim, parmi lequel se trouve le bébé des réfugiés. Qui a bien grandi. En fait, c'est devenu mon meilleur ami. On a tous les deux grandi dans un essaim de vampires, non ?
On dit qu'en vieillissant, les vampires acquièrent parfois de nouvelles capacités. J'ai été tué, et donc transformé, à mes 29 ans, et j'ai hérité des capacités qu'avait Abraham et Rosa de maintenir tant d'esprits et de vampires sous leur contrôle. Je peux influencer que les membres de mon propre essaim – à ce qu'on dit, les autres vampires sont capables de tous les influencer, alors, les miens ont tous un peu de verveine sur eux en permanence. Je ne peux en revanche rien faire pour les humains qui n'ont pas ingérer mon sang. Revenons-en à mon sorcier. Il est toujours resté avec moi. Et, ensemble, après le plus bref échange de sang – et de talent -, lui comme moi pouvons user de la télékinésie. Lui, sans usage de formule – et sans même s'affaiblir – et moi, j'acquiers un nouveau pouvoir temporaire grâce à lui. Nous sommes ce que nous mangeons, n'est-ce pas ?
Qu'en est-t-il d'Honey et des autres de l'essaim, à part lui, me direz-vous ? Abraham et Rosa sont tous les deux morts de la main d'un vieux vampire fou solitaire ( le reste de l'essaim s'est chargé de le tuer ). Oui, toutes les créatures magiques, si elles vivent des siècles et des siècles, sont susceptibles de devenir fou. Par ce qu'on a tout l'avenir devant nous ? Or, l'ennui est souvent … mortel. Bref, étant le plus puissant de l'essaim, j'ai du très vite le gouverner. J'ai changé de nom, les membres de l'essaim m'ont appelés Warren.
Honey est sûrement vivante quelque part, en Europe, aux dernières nouvelles. Elle a fait partie de mon essaim, je l'ai moi-même changée, mais elle n'a pas eu le don (et pourtant, c'était la plus apte de nous tous pour le recevoir). Enfin, mon essaim est différent de celui que j'ai rejoint à mes huit ans. Soit les humains sont morts naturellement, soit lors du processus de vampirisation, soit après leur vampirisation, soit ils sont partis faire leur vie ailleurs.
Part 5/ Cripple CreekCela fait un an que j'ai racheté un hameau de deux maisons sur les collines surplombant Cripple Creek. Entre la restauration des deux maisons ( et la création d'un passage souterrain les reliant l'une à l'autre ) et la gestion de l'essaim, nous pouvons enfin y aménager. Les deux maisons, unies, forment une belle bâtisse, et tout mon essaim y trouve sa place. Il reste encore quelques améliorations à y apporter, mais pour le reste, à nous deux, Cripple !
Mais, me direz-vous, qu'est-ce que j'ai pu omettre comme détails ! Ne sous-estimez jamais un vampire. Généralement, ils sont vieux et ont eu le temps d'apprendre à tromper l'ennui. Ils sont donc généralement cultivés et parlent plusieurs langues. Certains ont pleins de diplômes dans des états différents. Je fais partie, je crois, de ces vampires qui trompent l'ennui en s'instruisant. Je parle le portugais et l'anglais, grâce à ma famille adoptive. Mais avec le temps, j'ai appris l'espagnol aussi. Et puis le chinois. J'aime aussi lire. Ahh, les romans du moment parlent de nous ! C'est très intéressant, et pas toujours vrai. Dracula, ça c'était innovant. Faux aussi, mais à l'époque … Sinon, je joue (très bien) du violon, et je passe le plus clair de mon temps à tenter de trouver des solutions pour rendre la vie de mes banques de sang plus agréable.
Et pour bien commencer à Cripple Creek, j'ai encore changé de pseudonyme. Après Jeremiah et Warren, ça sera Austin.